Prix LCL-UJSF Ouest-Centre-Poitou-Charentes 2014
du meilleur article et de la plus belle photo de sport
Chaque année, le Prix LCL-UJSF récompense les journalistes ayant écrit les meilleurs articles et pris les plus belles photos de sport. Le jury de ce Prix Grand Ouest (Ouest-Centre-Poitou-Charentes) s’est réuni le vendredi 5 décembre au Castel Marie-Louise à La Baule. Et au terme d’âpres discussions, ce sont deux journalistes d’Ouest-France, François Simon pour le texte, Daniel Fouray pour la photo qui ont décroché la palme. Tous deux représenteront la région, lors de la finale nationale, début janvier à Paris.
Une trentaine de textes écrits par des journalistes d’Ouest-France, du Télégramme, Courrier de l’Ouest, Nouvelle République du Centre Ouest, Charente Libre mais également du Figaro Magazine, Vélo Magazine, etc. furent disséqués par les quatorze membres d’un jury comptant dans ses rangs Yves Métaireau, le maire de La Baule, Claude Seyse, vice-présidente du Conseil Général de Loire Atlantique, Waldemar Kita, président du FC Nantes, Thierry Anti, entraîneur du HBC Nantes, Jean-Marc Desrousseaux, ex-footballeur professionnel, etc.
Et au terme d’un scrutin passionné, deux « papiers » ressortaient du lot : « Salut à vous babas au rhum », un sujet d’ambiance écrit par François Simon, au départ de la Route du Rhum et paru dans Dimanche Ouest-France, ainsi qu’« Au nom d’Emma », réalisé par Gildas Crozon du Courrier de l’Ouest. et évoquant la double histoire d’amour d’une jeune fille de 17 ans, avec son sport, la boxe, et sa maman disparue. Finalement, c’est Simon qui coiffait Crozon sur le fil (7 voix contre 6).
Autant de suspense et d’incertitude pour les photos. 24 furent présentées au jury et trois furent sélectionnées pour la finale nationale. Celle d’un pongiste dont l’œil se confondait avec la petite balle blanche (Jean-Sébastien Evrard de l’AFP), une très belle image prise lors du championnat du monde de plongeon (Eddy Lemaistre de l’agence DPPI) et un étonnant document saisi par Daniel Fouray d’une Porsche en piste au Castellet, semblant faire la course avec un… Canadair . Et au final c’est cette dernière photo qui avait la préférence du jury, offrant à notre confrère d’Ouest-France, le titre 2014.
François Simon et Daniel Fouray se verront offrir par LCL une superbe montre-chrono.cadeau que reçurent ce vendredi à La Baule, des mains de Yan Duhamel (responsable du sponsoring chez LCL), Olivier Clerc et Franck Dubray, également d’Ouest-France.
Les photos titrées
1. Daniel FOURAY : Porsche sous haute surveillance
2.Eddy LEMAISTRE : le grand saut
3. Jean-Sébastien EVRARD : Ouaich, bon pied, bon…œil.
Les textes titrés
1. « Salut à vous babas du rhum » de François Simon (Ouest-France)
Sur le lot, il y en a fatalement un ou deux comme lui, à traîner la semelle sur les pontons de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Un gamin chaviré de bonheur, touché coulé, qui sent tout d’un coup que le bonheur l’attend au bout d’un quai. Que la vie sera belle et gracieuse comme une voile qui se gonfle.
Oui, il y a forcément un gamin comme lui l’a été voilà peu, Benjamin Hardouin, skipper de 24 ans dont le canot est plus âgé que son matelot. Lui, Benjamin qui se lance aujourd’hui dans la course dont il a rêvé assez fort hier pour en être cette année. L’un parmi tant d’autres. Parmi les 91 autres givrés, babas du Rhum.
Benjamin est à la barre de l’ancien Kriter V, l’increvable et légendaire cigare noir de Michel Malinovski. Il perdit la première édition pour 98 secondes, coiffé sur le fil par la bondissante libellule jaune de Mike Birch. « C’est ce qui fait le charme de la Route du Rhum : chaque bateau est un roman, chaque marin est une histoire. »
La « sassée », rite malouin
Le tout forme un festival d’automne inédit, cousin germain, marin et malouin des Étonnants Voyageurs. En ville, on voit des trucs étonnants : des restaurants qui ouvrent et qui n’existent pas d’ordinaire, comme L’effet mer qui s’installe de façon éphémère dans une vieille malouinière. Ce dimanche midi, à 14 h, l’heure de la grande envolée, il devrait faire un temps de cochon à la pointe du Grouin. Mais hier, polope, le ciel breton nous a envoyé un gros spi bleu d’azur. Un ciel de 14 juillet des familles. Une météo à faire chanter les terrasses des cafés. En bras de chemise, les amis saluent Paul Hignard, 19 ans, bizuth du Rhum 2014, sur l’air des lampions, d’un fraternel : « Oh le veinard, il part sous le cagnard. »
Les amoureux prennent des selfies en s’imaginant seuls au monde (c’est archi faux mais chut ! ne disons rien). On a empli les musettes de sandwichs, chaussé parfois des bottes de cyclo-cross en prévision d’un improbable mais possible gros temps. L’air est saturé de rires. Et de blagues pas trop fines mais franchement drôles.
On se croirait au Tour de France, les parasols et les glacières en moins. Une dame de Mayenne confie à une voisine la raison pressante qui l’a poussée à venir jusqu’ici : « J’avais… Comment dire ?… J’avais comme une envie de prendre le large. »
Voilà deux semaines bien tassées que Saint-Malo se dore la pilule et chalute des foules estivales. Hier, avant-veille du départ, les paquets de gens ont occupé les remparts et serré de près le détroit qui mène au grand dehors.
Fameux moment que celui des « sassées ».Un rite chavirant. Les bateaux sortent des bassins, paradent à petite vitesse, attendent que l’écluse se remplisse et que la porte s’ouvre. La porte de l’inconnu et du bel impossible.
« Comment qu’c’est »les sassées, comme on dit en langue verte des ports et des docks. « L’avant dernier saut de puce, explique un habitué.Les bateaux éclusent. Le sas est étroit et délicat, un peu comme une mise au monde. Les concurrents rejoignent leur univers. Ils sont presque dans le grand bain, ils y entrent. »L’écluse est la marque de fabrique malouine.
Au Vendée Globe, il y a la descente du chenal des solitaires au milieu de la haie vive des gens. Saint-Malo a ses écluses. Ainsi qu’un fond de l’air plus léger. Au Vendée Globe, la mort rôde toujours un peu : ils partent vers le pôle sud qui est un bout d’enfer. Au Rhum, ils cinglent vers le soleil. Ils font cap vers la Guadeloupe même si ça risque de « zouker »en route. Le Globe est un marathon, un show d’effroi. Le Rhum, du demi-fond, un froid et chaud.
Les deux courses remuent solidairement quelque chose dans nos têtes de bipèdes en mal d’aventure. Au Rhum, le scénario est écrit, la mise en scène rodée, les personnages bien campés : « On sort, nez dans le vent, l’étrave dans la plume à jouer avec le clapot court et croisé de la Manche. Et puis au bout, il y a l’Atlantique. »L’Atlantique qui n’est pas une mer mais un océan.
Alain Collas jamais n’arriva lors de la première édition du Rhum, en 1978. Alain Collas qui, parlant de l’Atlantique disait « Mon royaume »…
Texte de François SIMON (Ouest-France)
paru dans Dimanche Ouest-France du 2 novembre
1er prix Ouest-Centre
2. « Au nom d’Emma » de Gildas Crozon (Le Courrier de l’Ouest)
Margot Charrier et la boxe, c’est une double histoire d’amour. Celle d’une jeune femme avec son sport, et celle d’une jeune fille avec sa maman disparue. Quand le noble art cohabite avec le souvenir.
C’était un mardi de juin, il y a huit mois. Un mardi comme un autre. Un timide soleil perçait. Margot avait devant elle une journée banale, avec quelques révisions. Le bac de français approchait. Une journée comme une autre. Elle ne le sera pas. Les suivantes non plus.
Ce matin-là, le cœur d’Emma s’est arrêté de battre. Emma était la maman de Margot. Elle avait 43 ans.
A 17 ans, on n’apprend pas du jour au lendemain à vivre sans maman. Sans sa « ‘ma ». Depuis, pour la jeune femme, le quotidien s’affronte plus qu’il ne se vit. Certaines choses ont changé. Elève de Terminale L du lycée Joachim du Bellay, elle qui aimait tant lire n’y arrive plus. Être seule avec un livre, c’est être seule avec ses pensées, et le deuil est mauvais compagnon. Les rires sont devenus plus rares. Comme les conversations. Emma était aussi la confidente. Tout a moins de goût. Sauf une chose. La boxe.
Car on peut aussi bien présenter Margot ainsi. Une jeune fille de 17 ans, visage doux et regard dur, yeux noisette et sourire fragile. Pudique et sensible. Salle Assas, elle semble s’être trompée de porte, et la seconde suivante, cheveux rebelles et gants aux poings, c’est l’inverse. Elle a ce sport en elle. « Elle boxe comme un homme, elle n’a pas peur des coups », répète souvent son entraîneur Patric Bahamed-Atlan.
La boxe est en elle depuis leur rencontre, il y a trois ans. Et la boxe sera en elle pour toujours depuis ce fichu mardi de juin. Pour une raison simple : « C’est Emma qui m’a incitée à y aller. » Margot était en 3e. « Je ne me sentais pas bien. » Elle faisait du basket, mais n’avait récolté pour tout résultat que six fractures de la cheville et trois du poignet. La rumeur dit qu’elle a horreur des médecins. « Un soir, devant un reportage sur des boxeuses, Emma m’avait dit : et pourquoi pas la boxe ? » Haussement d’épaules. « Mais elle avait une telle manière de s’y prendre… J’ai capitulé. » Sans a priori, jamais, Margot va voir, et découvre. Le coup de foudre viendra en même temps que les premiers combats. Elle y prend goût, sa maman prend peur. «Elle m’a juste vue boxer en éducative. Mais le soir de mon premier combat amateur, un combat hyper violent, je suis rentrée avec mon t-shirt maculé de sang. Et là elle a eu peur… » Le sourire n’est pas loin, les larmes non plus. « Emma m’a confiée à la boxe. C’est peut-être débile, mais j’aime le penser. Tout ça a pris un autre sens. C’est un lien entre elle et moi, encore. » Coach Bahamed, un vrai soutien durant l’épreuve, l’a senti. « A son retour en septembre, sa motivation était décuplée. Elle avait une force en elle. Moi qui suis croyant, je lui ai dit que c’était Emma. » Margot a pourtant songé à remiser les gants. Le chagrin, la responsabilité de son petit frère Léo (12 ans), de sa petite sœur Lili-Rose (9 ans), la tenue de la maison : c’était trop.
L’idée a duré quelques heures, le temps d’en parler à mamie. Sermon immédiat. « Non, tu n’arrêtes pas, aucune chance. » Le papa, Ludovic, est sur la même ligne. La copine Gamzé aussi. « Elle m’a bien engueulée ! » Alors Margot n’a pas rangé les gants. Pour s’agripper à sa vie, malgré tout. « Le deuil a renforcé ce que j’étais, mais c’est la boxe qui m’a faite. Au lycée, je suis la boxeuse, et ça me va. Entre boxeurs, personne ne vous juge. Et moi j’ai horreur de la pitié. » Comme de se morfondre. La demoiselle est du genre tenace. Elle avait prévu de travailler l’été suivant le drame ; elle a ramassé les melons. Et le deuil n’a pas eu raison de son bac de français. « Je suis tombée sur le dernier texte que j’ai révisé avec Emma, la Princesse de Clèves », susurre-t-elle, la voix étranglée. « Je vois des signes qui me la rappellent… » Elle compte avoir son bac L en juin, même si « les études ne m’attirent plus ». Elle confie son besoin « de remplir sa vie ». Ses habitudes n’ont pas changé. Le matin, elle marche toujours de son chez elle, un pavillon de La Roseraie, jusqu’à son lycée. Quarante minutes. Elle étudie toujours le russe, et rêve d’un voyage à l’Est. Elle fait toujours la guerre au cliché de la boxeuse garçon manqué. Aussi, elle enfile toujours ses robes, son vêtement favori, se maquille parfois, va en boîte. Ses soirées et ses week-ends sont toujours rythmés par la boxe. Elle étudie le midi pour se libérer, quand elle ne rentre pas pour lancer la machine à laver. « Le soir, je lis l’histoire à Léo et Lili-Rose. Ils aimaient quand Emma le faisait. Ils ont encore leur vie d’enfant, il faut que ça dure. » Son papa lui dit qu’elle n’est pas la maman de la maison. « Il a raison. Mais les voir heureux, ça m’aide à le redevenir. »
Au milieu du maelstrom, des instants de spleen solitaires, des questions sur l’existence et le sens à lui donner, et sur ses sentiments qui la font souffrir, Margot s’accroche à la boxe. Début janvier, elle a décroché son billet pour les France. Un combat dur, gagné au courage. Avec, tatoué sur son cou, un cœur au milieu d’une fleur. La griffe d’Emma, quand elle laissait des petits mots. « Ce combat m’a remuée. Mon papa s’était déplacé, ma famille aussi. Je ne pouvais pas perdre. J’étais très émue de gagner, mais il manquait quelqu’un. Le lendemain, je suis allée au cimetière. J’ai passé mon week-end à pleurer. » Voilà la vie de Margot. Celle d’une jeune fille qui souffre mais qui refuse de le sentir. Qui pense tout haut « qu’un homme est moins fort qu’une femme », et qui fait ce qu’elle peut pour le montrer. « Mon avenir ? Je ne le distingue pas. » Les yeux sont encore humides, mais le sourire reste là. Il est l’heure de sortir du vestiaire. Dans la pénombre, la boxe est son phare.
Texte de Gildas Crozon (Le Courrier de l’Ouest)
2e prix Ouest-Centre
Olivier Clerc et Franck Dubray récompensés