FC Nantes. En rupture de banc depuis son départ du Japon, Vahid Halilhodzic va retrouver le championnat de France qu’il a quitté en 2005. Toujours aussi perfectionniste, intransigeant et entier mais si attachant.
La glace n’a jamais disparu de la carte des desserts de cette célèbre brasserie de la place Graslin. Elle s’est seulement enrichie de chantilly et allégée de quelques macarons, en même temps que son prix a gonflé avec le passage à l’euro.
Lui s’en délectait à une époque où il portait beau la cravate et le costume. Sa garde-robe a toujours constitué une curiosité, sa générosité une deuxième nature. Payer ? Tous ses interlocuteurs ont tenté, lorsqu’ils ont partagé la table de Vahid Halilhodzic, sauf que le Bosnien a toujours usé des mêmes subterfuges que dans la surface de réparation pour les devancer et régler l’addition.
Coach Vahid est fier, mais pas seulement. On peine à imaginer que se cache une âme sensible derrière ce regard assombri et ce nez aquilin. Ils ne sont pas forcément légion à le connaître, à ne pas s’arrêter à la caricature de sa marionnette des Guignols sur Canal Plus. Elle l’a d’abord fait marrer puis blessé en le faisant passer pour un dictateur. « Lorsqu’il est arrivé à Rennes après dix journées, on était dernier avec cinq points, se souvient Cyril Moine, à ses côtés depuis 2002. Lorsque j’ai reçu l’appel de Pierre Dreossi pour m’annoncer que le club allait se séparer de Philippe Bergeroo, mais que je restais pour travailler avec Vahid Halilhodzic, j’avais en tête le visage des Guignols, avec cet aspect dur, méchant, agressif dans le discours. Je me suis dit : merde, ça va être compliqué. J’ai même ajouté à ma femme : je ne crois pas que ça soit une bonne chose pour moi. »
« Un dégoût de la défaite à en vomir »
Seize ans plus tard, son plus fidèle adjoint, en charge plus spécialement de la préparation physique, demeure toujours à ses côtés. « Pendant une semaine, alors qu’on préparait les séances autour de la table, je n’arrêtais pas de me dire : mince, ce n’est pas tout à fait ce que j’imaginais. À un moment, il va craquer et me retourner la tête. Et puis, un jour, il m’a demandé pourquoi je le regardais ainsi ? Dis mois ce que tu penses sur le moment, a-t-il ajouté. Aujourd’hui, je retire toujours autant de plaisir à travailler avec lui. Et je pense n’être ni sadomaso, ni débile ! »
On ne compte plus ceux qui ont oeuvré contre sa présence sur un banc de touche du championnat de France, ceux qui ont envoyé des textos à Jean-Michel Aulas, puis aujourd’hui à Waldemar Kita, pour dire de ne pas le prendre. Le milieu s’est montré cruel, trompeur et sans merci avec lui. À chaque fois, il a perçu le même écho : il serait ingérable, caractériel plutôt que droit et honnête.
Pointilleux, méticuleux assurément. Intransigeant davantage qu’autoritaire, plus sûrement. Cette fierté, cette capacité de travail, cette envie de réussir, Vahid l’a puisé chez son père. L’homme n’est pas adepte du double langage. « Il faut que la relation soit honnête, directe. C’est déterminant », rappelle-t-il souvent à son interlocuteur. « Il a un fort caractère, du tempérament et un dégoût de la défaite, à en vomir, raconte encore Cyril Moine. Quand Vahid a perdu, c’est très compliqué. Avec les années, je sais l’aborder et déceler le problème pour rebondir au plus vite. »
Les moins de 40 ans n’ont pas connu l’idole de Marcel Saupin, ce renard des surfaces débarqué du Velez Mostar en 1981, devenu par deux fois le meilleur buteur du championnat de France (1983 et 1985). À Nantes, il a conservé des ex qui sont devenus des amis, lui est resté Vahid, parle toujours comme Alain Delon à la troisième personne. Il a souvent proclamé qu’il lui avait manqué un club capable de jouer la finale de la Ligue des Champions au cours de sa carrière d’entraîneur. « Je ne suis inférieur à personne. Je suis capable de gagner la C1 et ce n’est pas prétentieux », a-t-il même un jour déclaré à nos confrères de L’Équipe, celui qui cite naturellement Marcello Lippi (ex Juventus de Turin) comme l’entraîneur qui l’a le plus marqué.
Vahid a tout connu, l’effroi de la guerre à la fin de sa carrière de joueur, l’oubli, la renaissance et l’exil. Quand il a repris la route de Mostar à l’été 1987, titres, gloires et habits de lumières déjà abandonnés au passé, il rentrait au pays, dans sa Bosnie natale, pour y gérer le capital de toute une vie, un piano bar, le « Vaha », une boutique Benetton et une pâtisserie sur la côte touristique de l’Adriatique. Il rentrait dans ses murs, dans cette maison qu’il avait fait construire pierre par pierre, aménagée somptueusement après 17 années au plus haut niveau. La guerre lui a tout enlevé en quelques semaines.
Beauvais lui a tendu la main, mais il l’a reconnu, il avait d’autres images qu’un terrain de foot devant les yeux, celle de la mort ou du fascisme. Dans l’isolement, Vahid a trouvé sa voie. Il est resté pratiquement trois ans sans boulot, ni revenu. Son épouse, Diana, travaillait lui récupérait, à droite, à gauche, l’argent qu’il avait prêté durant sa splendeur. Il a dû tout recommencer à zéro. Le téléphone tardait à sonner. « Je me sentais tellement minable, inutile. Quand tu te sens rejeté, abandonné, tu es bien obligé de te raccrocher à toi-même. Le jour, la nuit, j’analysais tout, j’écrivais. En fait, j’ai appris le foot, je l’ai scruté sous tous ces aspects, j’ai aussi inventé mille exercices pour les entraînements. »
Avec lui, Lille a retrouvé la D1 puis disputé la Ligue des Champions. Rennes s’est sauvé, François Pinault lui proposait même les plein pouvoirs mais le Bosnien a préféré les lumières de la capitale et du PSG avec lequel il a remporté la coupe de France avant de se faire virer par son ex-ami, Francis Graille. Il a successivement qualifié la Côte d’Ivoire, l’Algérie et le Japon pour la Coupe du Monde même si les Fennecs sont les seuls à lui avoir permis de disputer un Mondial.
Avec Vahid, c’est blanc ou noir, avec ou contre lui mais pas gris. Vahid le travailleur acharné vampire l’espace. Il est le patron du sportif, fort de diplômes en pédagogie, sociologie et psychologie qu’il a obtenu sur les bancs de l’université de Sarajevo. Un chef d’orchestre cependant plutôt qu’un militaire qui érige le groupe en valeur sacrée. Et s’il le malmène, c’est pour le faire exister. « Il ne cherche pas à embêter les joueurs, mais juste la performance. Gagner, gagner, gagner, martèle Cyril Moine. Il ne veut pas que le joueur se limite à ce qu’il pense faire, il essaie de casser la barrière psychologique. »
« On a vidé les bières du frigo »
L’histoire remonte déjà à loin, au moment où il a décidé du jour au lendemain de partir du Raja Casablanca pour rejoindre sa famille à Beauvais. Le soir, ils sont une quinzaine de joueurs à sonner chez lui. « On a vidé les dernières bières du frigo. À un moment donné, deux gars sont partis dans le couloir et, ne les voyant pas revenir, je me suis levé. Je les ai retrouvés et ils pleuraient. Moi aussi, je me suis effondré. Il n’y a pas plus belle preuve de reconnaissance pour un entraîneur que de vivre de tels moments. »
Tous ces voyages, au Maroc, en Turquie, en Arabie-Saoudite, en Croatie, c’était seulement pour ne pas rester inactif sur son canapé à se morfondre car son pays d’adoption se refusait à lui. Le FC Nantes, il espérait secrètement y revenir avant la fin de sa carrière. Un rêve auquel il ne croyait plus trop jusqu’à ce coup de téléphone jeudi midi de Waldemar Kita alors qu’il se trouvait à Dubrovnik. L’image d’homme dur l’accompagnera à vie. « Si pour gagner des matches, il suffit que l’entraîneur laisse les joueurs taper le ballon entre eux, pendant que l’entraîneur va au resto, je le fais tout de suite ! » Le nouvel entraîneur du FC Nantes ne méprise pas ce genre de distractions. La sonate d’Automne de La Cigale l’attend. Merci de rajouter des macarons !